Monrovia, Indiana de Frederick Wiseman
Monrovia, Indiana de Frederick Wiseman ou comment le regard s’élève au-dessus des champs et prairies
Sélectionné dans la catégorie La Quinzaine des Réalisateurs, le documentaire de Frederick Wiseman, son 44ème long-métrage tourné en 2018, nous fait découvrir Monrovia, une petite ville du Midwest dans l’État de l’Indiana. L’œuvre qui dure 2h40 peut décourager les spectateurs impatients ou les spectateurs accrocs aux films d’action. Avec Wiseman, on entre dans une parenthèse hors du temps. Le temps se fige même, comme le regard pourrait se fixer sur une toile de Grant Wood qui a peint l’Iowa (Spring in Town, 1941) ou la pensée sur une page de Sherwood Anderson qui a raconté l’Ohio (Winesburg, Ohio, 1919).
De l’Indiana, Wiseman a rapporté de magnifiques paysages en plans larges statiques – ciel, champs, prairies, rues où le bruit du vent, l’aboiement d’un chien, le passage des voitures rythment le quotidien autant que le silence.
Le cinéaste a filmé des réunions publiques dans des institutions (mairie, lycée, église, Lion’s Club). Il a capté des conversations entre compères dans un café, lors d’une fête de village. Il a enregistré un cours de gymnastique pour adultes, une répétition de chorégraphie par des jeunes filles, une coupe de cheveux chez le barbier, une cérémonie à la loge maçonnique, une intervention chirurgicale chez le vétérinaire, une séance de tatouage. Il nous promène au supermarché, chez le marchand d’armes, dans une vente aux enchères d’équipements agricoles.
La caméra multiplie les plans, devient incisive jusqu’à la saturation pour décrire la culture du maïs, l’élevage porcin, l’élevage bovin, la préparation des plats au supermarché. Les lieux, les gestes, les objets, les véhicules sont filmés avec minutie. Les consommateurs contemplent les rayons d’un supermarché, d’autres paient leurs achats au magasin d’alcool. Au bout d’un moment, on oublie qu’on est en Amérique du Nord. Les préoccupations des élus et des citoyens, les inquiétudes des uns, les joies des autres deviennent les nôtres. On discute de la nécessité d’une bouche d’incendie, d’un banc public, de la construction d’un parc immobilier.
Wiseman nous conte la vie qui se termine par la mort comme son documentaire qui se conclut avec les funérailles d’une habitante. Et l’hymne incontournable Amazing Grace jusqu’à l’émotion.
Esther Heboyan