
Mothering Sunday (Le dimanche des mères) de la Française Eva Husson, représentant le Royaume-Uni dans la sélection Cannes Première, est une belle surprise. Dans son documentaire The Story of Film : A New Generation, Mark Cousins explique que le cinéma du 21ème siècle fait usage de la lenteur. Eva Husson utilise la lenteur à bon escient, scrutant les visages, cadrant les espaces, suggérant des paysages intérieurs, voire des vies entières. Et ce, tout en découpant, superposant, accélérant, la vie de Jane Fairchild (Odessa Young) sur plusieurs décennies – les années 1920, 1940 et 1980. Le récit principal se passe dans une Angleterre bucolique le 30 mars 1924, date qui va bouleverser les destins.
De jeune domestique au manoir des Niven (Colin Firth, Olivia Colman), Jane devient libraire puis écrivaine en herbe et à la fin de sa vie écrivaine de renommée internationale. Comme dans Atonement de Joe Wright, les souvenirs remontent aux histoires d’amour, l’une secrète avec Paul (Josh O’Connor) d’un rang social plus élevé, l’autre franche avec Donald (Sope Dirisu), un philosophe d’origine antillaise. Des moments de complicité charnelle et intellectuelle, au-delà des barrières sociales et raciales qui disent peut-être les changements survenus au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Le scénario signé par la dramaturge Alice Birch est une adaptation du roman de Graham Swift qui affirme que la fiction est un lieu de partage, de communion entre auteur et lecteur. Ce lien, Husson réussit à le recréer entre sa caméra et le spectateur. On peut évoquer de magnifiques séquences comme celle de Jane se promenant nue dans la demeure de Paul, explorant une suite de pièces, découvrant les livres de la bibliothèque, contemplant les tableaux aux murs. Le cadrage est tel qu’à un moment Jane elle-même semble figurer dans un tableau. Comme celle de Jane vieillie (Glenda Jackson) qui répond à la presse agglutinée devant sa porte avec la même émotion et la même fraicheur qu’autrefois.
Certes, le temps a passé, a apporté son lot d’événements joyeux ou douloureux, mais l’être humain a le pouvoir d’œuvrer pour soi et de se constituer des trophées dans son grenier. Le film d’Eva Husson, comme d’autres films de la compétition, s’intéresse aux individus comme s’ils étaient exceptionnels. Odessa Young et tous les autres acteurs livrent d’excellentes performances.
Esther Heboyan