CLOSE de Lukas Dhont, Palme de cœur de Bien en place

Raphaël Chantoiseau, Lukas Dhont et Jean-Baptiste Chantoiseau au Festival de Cannes, bien en place more than ever

Lukas Dhont est un jeune réalisateur et scénariste belge, dont on avait adoré le premier film, Girl (2018) ; une œuvre vibrante, transgressive et sans concession qui retrace la vie d’une jeune danseuse transsexuelle s’imposant une discipline de fer pour exceller dans son art et maîtriser son corps à la perfection. S’impatientant de la lenteur de sa transition d’homme en femme, lassée des moqueries et désespérée de la douleur d’amours chaotiques, elle en vient à s’automutiler dans une scène à la puissance inoubliable. D’une manière juste et implacable, Lukas Dhont a su faire partager le quotidien d’un personnage hors norme avec beaucoup de délicatesse, au point que le spectateur finit par se sentir proche d’elle/de lui. Après cette réussite qui lui valut de recevoir la Caméra d’or au Festival de Cannes 2018 et la Queer Palm, c’est avant une grande impatience qu’était attendu son deuxième long-métrage, Close, sélectionné pour la compétition de 2022.

Close raconte l’histoire d’une complicité sentimentale, amicale et amoureuse entre deux jeunes garçons, Léo (Eden Dambrine) et Rémi (Gustav De Waele). Toute la première partie du film véhicule une impression de douceur et de bienveillance, aussi bien dans les relations entre parents et enfants, entre les enfants eux-mêmes mais aussi entre l’homme et la nature, plus généralement, avec des plans dont la beauté et la sérénité tranchent avec bien des films de notre temps, parcourus de drames et de tensions laissant peu de place à la lumière. Déjà le sculpteur Auguste Rodin (1840-1917) affirmait, à son époque, qu’on ne prenait plus le temps de regarder les arbres, le vent vibrer sur les branches ou encore d’admirer les ombres que le soleil dessine dans des paysages qui nous sont devenus trop familiers. D’où la nécessité, selon lui, d’une école du regard.

Cette sensibilité et cette éducation de l’œil semblent consubstantielles à Lukas Dhont et à son film. Prendre le temps de s’arrêter, de souffler, d’observer les champs ; de travailler de manière familiale, avec des gestes simples se mêlant dans une même chaîne… Apprendre à voir, de nouveau, sans grand fracas ni besoin de spectaculaire… pour privilégier la matière même de nos existences, faites de détails, d’échanges de regards, de petits rien… à partir desquels se nouent parfois les vrais drames de la vie. Ce sont les tourments intérieurs, ceux qu’on peine à exprimer, à comprendre, à dévoiler qui intéressent Lukas Dhont, tant ce sont eux qui remuent l’âme de fond en comble.

En effet, ce film parle, de manière subtile et sans dramatisation outrancière, des blessures profondes que ressent certainement tout jeune garçon se sentant différent des autres sans trop savoir quoi faire de ce désir ni comment assumer les insinuations, les phrases ou remarques des camarades, même quand elle semblent, en apparence, pas si méchantes que cela. Plus radicalement encore, à l’heure où l’identité se constitue et se cherche, cette différence vient intensifier les questions propres à toute jeunesse; âge d’or de la vie pour certains et paradis vert des amours enfantines, comme l’esthétique du film l’évoque à bien des moments, mais aussi terrain glissant, fait de lignes de failles dans lesquelles l’être, parfois, s’engouffre et disparaît. Le contraste entre les plans inspirant la plénitude, la communion avec l’espace et la réalité du drame irréparable qui survient constitue l’une des grandes lignes de force de ce long-métrage et nous rappelle combien le bonheur, aussi rayonnant soit-il, peut vite céder la place au désespoir. Cette dichotomie invite aussi à se méfier des apparences : derrière l’innocence des jours qui s’écoulent, se nouent, inexorablement, des drames invisibles et qui finissent toujours par éclater.

Close est un titre polysémique qui résume bien l’ambition du film. Aussi proche (« close ») d’un être soit-on, le connaît-on vraiment ? Surtout s’il vit, à bien des égards, replié sur lui-même (autre signification possible du mot). Être proche, à deux pas de l’autre, et pourtant rester enfermer en soi-même, dans ses doutes, ses rejets et sa mélancolie, sans dialogue possible. Toutes ces contradictions sont contenues dans le film et lui conférent une très grande puissance, d’autant plus que le cinéaste a su faire le pari de la simplicité et de l’élégance, surprenant d’autant plus son spectateur lorsque le drame survient – une disparition incompréhensible – et qu’il faudra affronter l’après-coup. Cette terrible perte, annoncée progressivement et dont on arrive pas à parler – tant on peine à y croire – devient un vide, un silence, qui résonne, ou plutôt qui hante les images jusqu’à l’achèvement très ouvert et sensible du film.

« Close » pourrait aussi décrire le doigté avec lequel Lukas Dhont conduit son film : libre et flottante dans les champs, la caméra est présente tout en parvenant à se faire complètement oublier; elle est proche des personnages tout en restant discrète, ne pénétrant, qu’à tâtons, le jardin intime des personnages tout en préservant leur part de mystère. Le titre signe ainsi un rapport au cinéma et un engagement humaniste : être au plus proche des êtres, y compris de ceux que la douleur a rendu inaccessibles.

Du rapport au corps, comme dans Girl, il y aurait beaucoup à dire. Lorsque Léo, niant son amour, en vient à nier son identité, son authenticité, c’est dans le sport qu’il se jette, à corps perdu. Optant pour aller à l’encontre de lui-même, il se refugie dans le hockey sur glace, où son corps ne cesse d’être heurté, bousculé, violenté ; symbole du combat qu’il s’impose à lui-même, de cette agonie (du grec agôn), dont il ne peut sortir vainqueur.

Tout sonne juste dans ce film où Lukas Dhont, comme il l’a déclaré à Cannes, a beaucoup donné de lui-même, comme si la vérité artistique se trouvait toujours au plus proche de soi-même, de ce que l’on est. C’est d’ailleurs en puisant au plus profond de son être que l’on est capable de toucher à quelque chose d’universel : combien de garçons et de filles aux amours contrariés, heurtés, violentés, parfois par eux-mêmes, ne se reconnaîtront-ils/elles pas devant ce film à la sensibilité exacerbée ? Dans Les feux de Saint-Elme, le résistant, homme de combat et galeriste Daniel Cordier raconte ainsi comment, toute sa vie, il a été traumatisé par le refus qu’il avait opposé à un garçon amoureux de lui – et dont il était lui-aussi amoureux en secret. Il explique comment cette décision, qu’il a regrettée toute sa vie, a pesé sur son destin, si fortement qu’il n’a pu écrire ce livre, aux airs de confession, que vers la fin de son existence. Nombreux sont les exemples de ces destinées précocement brisées. Ils et elles trouveront en Lukas Dhont un frère de sang et avant tout une âme sœur.

Jean-Baptiste Chantoiseau

Lukas Dhont avec son équipe lors de la première du film au Festival de Cannes 2022. L’une des plus belles standing-ovation de l’année.

L’équipe de Bien en place présente pour la montée des marches du film. Tous nos remerciements aux photographes Bohan Li et Gilles Kyriacos.

Arrivée de Lukas Dhont et de son équipe pour l’avant-première au Grand théâtre Lumière – Festival de Cannes 2022
Une longue standing-ovation pour « Close » de Lukas Dhont – Festival de Cannes 2022
Discours émouvant et sincère après une incroyable standing-ovation

Inoubliable Cérémonie de clôture avec un Grand Prix amplement mérité et attendu.

Un grand bonheur, ce soir-là, d’avoir été au plus proche de la scène pour partager leur bonheur.

Photos : Jean-Baptiste Chantoiseau (à gauche) et Dominique Maurel (à droite).

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