Mois: mai 2019

De la Richesse des « Misérables » de Cannes 2019

L'équipe des "Misérables" par Samina Seyed pendant le photo-call, CANNES 2019

L’équipe des « Misérables » par Samina Seyed pendant le photo-call, CANNES 2019

A quelques heures à peine de la cérémonie de clôture du festival de Cannes 2019, Bien en place souhaite mettre en lumière l’un des films les plus forts de ce cru 2019 : Les Misérables de Ladj Ly. Aux côtés de Douleur et Gloire de Pedro Almodovar – qui mériterait une palme d’or tant attendue pour le réalisateur espagnol – Parasite de Bong Joon Ho ou A Hidden Life de Terrence Malick, ce film aurait une place plus que légitime au palmarès !

D’abord pour le doigté d’un scénario qui ne sombre jamais dans la facilité d’une vision manichéenne du monde. Bien ancré sur la réalité d’un terrain social mouvementé qu’il connaît de l’intérieur, Ladj Ly montre, avec subtilité, le quotidien d’une banlieue défavorisée de la Seine Saint-Denis. Loin de victimiser les uns ou de faire des autres des héros, il montre les douleurs, les errances et parfois aussi la grandeur d’âme des deux côtés : du point de vue des délinquants défavorisés comme de celui des policiers débordés par la situation.

Promenant avec aisance sa caméra aussi bien dans les airs que sur le trottoir, il dévoile les connexions, les liens de voisinage, le fonctionnement des réseaux avec un tel naturel que rien ne paraît jamais forcé. Entente entre forces de l’ordre et certains caïds pour l’obtention d’informations, liens par une langue étrangère partagée entre certains habitants et de jeunes policiers, solidarité spontanée d’adolescents s’estimant injustement ciblés, confrontations viriles entre gens du crique et communauté africaine : le récit met en lumière toutes les composantes d’un microcosme toujours sur la brèche et à deux doigts d’éclater. L’interprétation du collectif d’acteurs et d’actrices ici rassemble est éblouissante.

Certaines scènes, symboliques, frappent les esprits, notamment celle du jeune voleur retrouvé et violemment puni dans une cage avec un lion par des adultes devenus aveugles des traumatismes infligés aux générations futures. Car c’est bien cela qui est le plus poignant dans ce film : la présence précaire et douloureuse de tous ces jeunes, qui hantent l’espace ou occupent le devant de la scène ; une scène privée d’avenir et désertée par les pouvoirs politiques et les élites. En les rendant présents à l’écran sans compromission et avec un regard sensible, Ladj Ly a su créer un film d’une grande poésie, où brutalité et émotion coexistent en même souffle. Prions, avec Victor Hugo, qu’il se soit glissé jusqu’aux oreilles du jury 2019 de ce festival de Cannes d’une très grande richesse et diversité ! Les choix seront difficiles, on les espère courageux.

Jean-Baptiste Chantoiseau

Le film de Ladj Ly a finalement obtenu le Prix du Jury – Cannes 2019, ex aequo avec « Bacurau » de Kleber Mendonça Filho.

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Cannes 2019 : un festival à réveiller les morts… et les esprits !

Alors qu’il ne reste plus que deux journées de compétition officielle, retour sur quelques temps forts qui ont marqué Bien en place lors du Festival de Cannes 2019, un festival à réveiller les morts… et les esprits !

 

TO LIVE TO DANSE TO FIGHT

Tout a commencé par une journée qui ne voulait pas s’achever… Dans The Dead Don’t Die de Jim Jarmusch, la lumière peine à diminuer au profit de l’obscurité, peut-être parce que les morts, qui préparent leur retour, ont besoin de temps pour peaufiner leur spectacle spectral ! Avec l’humour grinçant et efficace qu’on lui connaît déjà, Jim Jarmusch s’attaque à un film de genre en réunissant un casting de choc (Bill Murray, Adam Driver, Tilda Swinton…), prêt à affronter une horde de morts-vivants en quête désespérée de wifi ou d’un verre de Chardonnay ! Les personnages, aux démarches chaloupées, défilent en cadence à l’écran ; phrases et séquences se répètent avec de légères variations – suivant un trait stylistique cher à Jim Jarmusch. L’époque contemporaine se reflète avec une ironie mordante et vampirisante dans ce film hanté et délicieusement à contre-courant !

      

Tilda Swinton aux côtés de Raphaël et Jean-Baptiste Chantoiseau

On pouvait craindre le pire avec le biopic, genre risqué s’il en est, dédié à Elton John ! Mais c’est avec finesse et une certaine maestria que Dexter Fletcher a su mener, tambour battant, son Rocketman qui retrace l’ascension au sommet de la star anglaise de la pop musique. La performance de Taron Egerton, qui incarne le chanteur prodige, y est pour beaucoup. Le montage, ménageant de nombreux aller-retour entre le passé et le présent, crée une dynamique qui propulse ce « rocketman » au top des musicals de ce début de XXIe siècle.

 

ESPRIT, Y ES-TU ?

Avec Atlantique, la réalisatrice Mati Diop met en scène un scénario remarquable qu’elle a écrit elle-même ; une histoire d’amour avant tout, de cœur, d’âme… et d’esprit aussi ! A Dakar, la jeune Ada doit épouser le riche Omar ; un mariage forcé qui la prive de son amour secret, le jeune Souleiman, lequel, bientôt, disparaît de sa vie… pour toujours ? Ce film, subtil et délicat, offre des images de l’océan à couper le souffle, comme si les vagues sculptaient des formes et des corps. Un bol d’air féminin et africain qui participe pleinement de la beauté de la sélection 2019 !

Mati Diop, la réalisatrice d’ « Atlantique », récompensée par le Grand prix du jury – Cannes 2019. Photo Samina Seyed

 

L'équipe des "Misérables" par Samina Seyed pendant le photo-call, CANNES 2019

L’équipe des « Misérables » par Samina Seyed pendant le photo-call, CANNES 2019

L’esprit de Victor Hugo fut présent avec Les Misérables, mais des « misérables » revisités à Saint-Denis au XXIe siècle. Ce film singulier, aux gros plans poignants, propose une exploration de la réalité sociale française qui va au-delà du documentaire – tout en restant ancré sur le terrain. Dans cette fiction bel et bien vivante, les personnages, en l’espace d’une ou deux journées de leur vies, savent mêler dignité et tragédie, peine et joie, le tout dans une leçon de cinéma signée par un jeune réalisateur au fait de ce dont il parle et qui a de l’avenir !

 

MEMOIRES DES VIVANTS

Chacun à leur façon – et avec des parcours et à des âges différents – Pedro Almodovar et Xavier Dolan ont proposé des longs-métrages magnifiques et convaincants, matières à autoportraits émouvants et vibrants.

  

Xavier Dolan et l’un des acteurs principaux de son film présenté à Cannes 2019. Photo Samina Seyed

Avec Douleur et Gloire, Pedro Almodovar dépeint la crise d’un artiste atteint par la fatigue de l’âge, la douleur, l’addiction aux drogues et qui replonge dans son enfance pour mieux renouer avec la création artistique et se livrer à un hommage très sensible à une mère disparue. Double, dans le film, du réalisateur espagnol, Antonio Banderas est époustouflant : sans doute son plus grand rôle. La composition de l’image – aux couleurs étonnamment vives – et la musique gracieuse ajoutent une touche poétique à ce récit poignant.

Après « The Death and Life of John F. Donovan » (2018), au scénario et au montage problématiques, Xavier Dolan revient, pour sa part, à son terrain familier et à ses amours de jeunesse, proposant un récit visuel puissant, dans un style naturaliste à la fois brut et poétique. Film à fleur de peau, parfois déroutant du fait aussi de l’accent local québécois, « Matthias et Maxime » retrace l’histoire d’un amour homosexuel qui peine à s’assumer et à devenir réel ; il propose une réflexion douloureuse sur la quête de l’autre. Xavier Dolan, qui se met lui-même en scène dans le film en incarnant l’un des deux personnages principaux, tombe le masque, donne à voir ses meurtrissures, symbolisées par cette tache qui recouvre en partie le côté droit de son visage. La scène du miroir ou celle de l’atelier, vue à travers une embrasure, sont de grands moments esthétiques et cinématographiques. Saluons le courage d’un Xavier Dolan qui refuse la facilité que son succès pourrait lui garantir pour faire l’autoportrait d’un artiste en mal d’être et en recherche d’authenticité et d’amour.

 

   

Difficile de trouver les mots pour décrire la séance de ce samedi 18 mai 2019 en compagnie de Claude Lelouch, Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée… 53 ans après Un homme et une femme, qui lui a valu la Palme d’Or, Claude Lelouch filme de nouveau les deux héros de son long-métrage légendaire dans Les plus belles années d’une vie. Une émotion authentique et sincère traverse cette œuvre du début à la fin, ce qui était loin d’être gagné d’avance. Le cinéaste a su orchestrer un montage subtile où le passé et le présent se mêlent sans jamais être figés : ce n’est pas de commémoration dont il s’agit mais d’un dialogue avec le temps, inachevable par définition. Il donne vie à un film qui respire, qui vibre ; un film où les larmes se mêlent à l’humour; les souvenirs aux projets d’évasion futurs… Jean-Louis Trintignant, à 88 ans, illumine l’écran avec une sincérité et une présence à l’état pur ; quant au charme et au charisme tout en douceur d’Anouk Aimée, ils opèrent toujours, dans une séduction confondante. Toute la salle était en larmes puis a entonné de façon spontanée le mythique « cha badabada », pour prolonger la magie d’une soirée qu’on ne pourra jamais répéter mais qui restera gravée dans nos cœurs.

 

UN TABLEAU FEMININ ET UN BIJOU VENU DE COREE

 

Céline Sciamma et l’équipe du film « Portrait de la jeune fille en feu » au photo-call de Cannes 2019. Photo Samina Seyed

 

Bong Joon-ho et l’acteur principal du film « Parasite », Palme d’Or 2019. Photo Samina Seyed

Parmi les autres réussites de cette compétition, citons le Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, qui propose un film d’époque (XVIIIe siècle) d’une rare finesse et élégance. Marianne, jeune femme peintre de talent, doit se rendre dans la demeure de la troublante Héloïse, pour y réaliser son portrait… un exercice difficile qui fait naître bientôt une complicité trouble et inattendue.

Enfin, le remarquable et inattendu Gisaengchung (Parasite) du Coréen Joon Ho Bong a enchanté la Croisette et convaincu Bien en place ! Grâce à un scénario remarquablement construit et riche en rebondissements, le cinéaste explore les inégalités sociales et les rapports de classes avec une ironie et une efficacité redoutables. L’esthétique et le découpage, modernes et rythmés, ajoutent à ce film une carte de plus pour figurer au palmarès… bien en place ?

Jean-Baptiste Chantoiseau

 

 

Des images enchanteresses : « 70 ans de cinéma » par Paris Match à Eden-Roc

 

IMG_1134                    Monica BELLUCCI,  entourée par l’équipe de Bien en place, au vernissage le 16 mai 2019.

A l’heure où le 72e festival de Cannes attire tous les regards, il est une exposition, à deux pas de la Croisette, qu’il ne faut rater pour rien au monde : « 70 ans de cinéma photographiés par Paris Match », présentée à l’hôtel du Cap-Eden-Roc à Antibes; un lieu, comme le rappelle son directeur Philippe Perd en introduction du catalogue de l’exposition, qui « ne cesse de fasciner, encore et toujours ».

Depuis 1949, explique Olivier Royant, directeur de la rédaction de Paris-Match, le magazine, « sur des centaines de couvertures et des milliers de pages », met en lumière comme nul autre le septième art, avec la complicité d’actrices et d’acteurs prompts à jouer le jeu et parfois, aussi, à laisser découvrir des moments d’intimité d’une touchante rareté.

L’inauguration de l’exposition le 16 mai 2019 s’est tenue en présence de Claude Lelouch, qui offre au festival les primeurs de son nouveau film, hors compétition, Les plus belles années d’une vie. 53 ans après sa légendaire palme d’or, Claude Lelouch affiche toujours une vitalité et une envie de créer inaltérables. La radieuse Monica Bellucci, à l’affiche de ce long-métrage événement, a elle aussi offert beauté et grâce à ce vernissage d’exception.

Ce qui frappe le plus dans la série sélectionnée par le commissaire de l’exposition, Marc Brincourt, qui connaît et aime les archives du magazine comme personne, c’est la spontanéité et la joie de vivre de ces acteurs, actrices, réalisateurs et artistes; toutes et tous conscients d’avoir la chance – et aussi la responsabilité – d’animer, de l’intérieur, un art universel qui émerveille toujours autant 120 ans après son invention.

Au sourire de Claude Lelouch, porté, au propre comme au figuré, par son équipe, répond celui de Claudia Cardinale, resplendissante sur le balcon de son hôtel sur la Croisette, l’année où elle est à l’affiche du Guépard, film qui fut la palme d’or 1963. La spontanéité et l’éclat de Jack Nicholson, dont le rire et le regard, tous deux diaboliques, sidèrent, donne le change à l’ironie amusée de Meryl Streep, posant devant un lit de roses – mais en basquettes blanches, dans sa suite. Imitant les Vénus de la Renaissance italienne, Mireille Darc, en 1966, s’offre à l’objectif  les jambes allongées tandis qu’un buste de statue, posé sur une cheminée à l’arrière-plan, semble fixer un lointain inaccessible. Plus détendu, Jean-Paul Belmondo, avec la décontraction et le naturel qui le caractérisent, emporte l’adhésion sur un canapé vintage avec son sourire ravageur qui appelle à l’aventure.

Les icônes de cinéma ont une manière bien particulière d’attirer la lumière à elle – cette fameuse photogénie si recherchée dès les premiers temps du muet – et de laisser éclater en surface une sensualité avec laquelle elles ont à peine besoin de jouer : tout semble s’imposer avec simplicité et immédiateté. La grâce au cinéma est innée. Cheveux à peine décoiffés de Brigitte Bardot, allongée au soleil; bras de fer complice sur un pont de Paris entre les Douglas père et fils ; poignée de main drolatique sur un court de tennis entre Mel Ferrer et sa femme, Audrey Hepburn; yeux fermés de Catherine Deneuve, assise en peignoir jaune sur une jetée en bois cernée par les flots, et tenant dans ses bras un volume de la série noire de la NRF : toutes ces images, en elles-mêmes, sont déjà des films ou une invitation à rêver de cinéma. Des peaux mouillées d’Alain Delon et de Romy Schneider – sur lesquelles glisse une vague de chaleur tandis qu’ils se tiennent dans les bras au bord de « leur » piscine, à la pellicule cinématographique argentique -, il n’y a qu’un pas, que l’imagination franchit vite. Merci à Paris Match et à Eden Roc de continuer à faire vivre le rêve de manière ardente et passionnée.

Jean-Baptiste Chantoiseau

L’exposition « 70 ans de cinéma photographiés par Paris Match » se tient à Antibes, à l’hôtel du Cap-Eden-Roc, du 16 mai au 19 octobre 2019.  http://www.parismatch.com ; https://www.edenrochotel.com/fr; https://www.nicematin.com/medias/photos-paris-match-fete-ses-70-ans-avec-une-exposition-photographique-a-antibes-382938