A quelques heures à peine de la cérémonie de clôture du festival de Cannes 2019, Bien en place souhaite mettre en lumière l’un des films les plus forts de ce cru 2019 : Les Misérables de Ladj Ly. Aux côtés de Douleur et Gloire de Pedro Almodovar – qui mériterait une palme d’or tant attendue pour le réalisateur espagnol – Parasite de Bong Joon Ho ou A Hidden Life de Terrence Malick, ce film aurait une place plus que légitime au palmarès !
D’abord pour le doigté d’un scénario qui ne sombre jamais dans la facilité d’une vision manichéenne du monde. Bien ancré sur la réalité d’un terrain social mouvementé qu’il connaît de l’intérieur, Ladj Ly montre, avec subtilité, le quotidien d’une banlieue défavorisée de la Seine Saint-Denis. Loin de victimiser les uns ou de faire des autres des héros, il montre les douleurs, les errances et parfois aussi la grandeur d’âme des deux côtés : du point de vue des délinquants défavorisés comme de celui des policiers débordés par la situation.
Promenant avec aisance sa caméra aussi bien dans les airs que sur le trottoir, il dévoile les connexions, les liens de voisinage, le fonctionnement des réseaux avec un tel naturel que rien ne paraît jamais forcé. Entente entre forces de l’ordre et certains caïds pour l’obtention d’informations, liens par une langue étrangère partagée entre certains habitants et de jeunes policiers, solidarité spontanée d’adolescents s’estimant injustement ciblés, confrontations viriles entre gens du crique et communauté africaine : le récit met en lumière toutes les composantes d’un microcosme toujours sur la brèche et à deux doigts d’éclater. L’interprétation du collectif d’acteurs et d’actrices ici rassemble est éblouissante.
Certaines scènes, symboliques, frappent les esprits, notamment celle du jeune voleur retrouvé et violemment puni dans une cage avec un lion par des adultes devenus aveugles des traumatismes infligés aux générations futures. Car c’est bien cela qui est le plus poignant dans ce film : la présence précaire et douloureuse de tous ces jeunes, qui hantent l’espace ou occupent le devant de la scène ; une scène privée d’avenir et désertée par les pouvoirs politiques et les élites. En les rendant présents à l’écran sans compromission et avec un regard sensible, Ladj Ly a su créer un film d’une grande poésie, où brutalité et émotion coexistent en même souffle. Prions, avec Victor Hugo, qu’il se soit glissé jusqu’aux oreilles du jury 2019 de ce festival de Cannes d’une très grande richesse et diversité ! Les choix seront difficiles, on les espère courageux.
Jean-Baptiste Chantoiseau
Le film de Ladj Ly a finalement obtenu le Prix du Jury – Cannes 2019, ex aequo avec « Bacurau » de Kleber Mendonça Filho.