Lumière et ombres de l’artiste. « A la recherche de Ingmar Bergman » (2018) de Margarethe von Trotta

Présenté en sélection officielle CANNES CLASSICS 2018, le documentaire événement A la recherche d’Ingmar Bergman de Margarethe von Trotta est sorti sur les écrans français ce mercredi 5 septembre 2018 (diffusion Epicentre Films). Courrez-y !

Il aurait eu cent ans cette année… Ingmar Bergman (1918-2007) est sans conteste l’un des plus grands génies du septième art ; non seulement par sa maîtrise de l’écriture scénaristique – son premier métier – mais aussi par une inventivité formelle féconde qui lui a permis d’explorer les potentialités inexploitées avant lui du cinéma. Avec une soixantaine de films à son actif – pour le grand écran essentiellement et pour la télévision – il a constitué, comme Balzac en son temps, une œuvre monumentale, propre à éclairer son époque et à révéler les arcanes les plus noires de la psyché et de l’inconscient.

Difficile de s’attaquer à un tel classique ! C’est pourtant ce pari fou que relève avec  brio Margarethe von Trotta, réalisatrice allemande d’une vingtaine de films qui a aussi collaboré comme actrice entre autres avec Rainer Werner Fassbinder et a personnellement connu Ingmar Bergman.

Fassbinder affirme que les films « libèrent la tête » : vis-à-vis du public, assure-t-il, « on ne devrait jamais être complaisant, toujours provoquant ». Bergman de son côté, film après film, semble être parvenu lui aussi à se libérer de cauchemars, de visions, d’obsessions qui le hantaient en les délivrant librement sur grand écran, repoussant lui aussi sans cesse les limites de l’acceptable, au point qu’un film comme Un été avec Monika (1953) inspirera bien des réalisateurs de la Nouvelle Vague, à commencer par François Truffaut, par le souffle inédit de liberté qu’il apportait alors. Sa maîtrise du montage, sa capacité à jouer sur les ressources si souvent sous-estimées et pourtant infinies du son (en particulier dans Le Silence en 1963) le feront très tôt reconnaître comme un auteur authentique, dont l’étude attentive est une école infinie pour les cinéastes en herbe de tous les pays.

  

Lorsque l’on évoque Bergman, on pense bien sûr au génie, à Persona (1966) – incontournable – Cris et chuchotements (1972) ou encore Fanny et Alexandre (1982) ; aux drames, aux pleurs et aux aspects les plus noirs et terrifiants de l’existence. Tant a été dit, tant a été écrit… C’est la raison pour laquelle Margarethe von Trotta choisit une approche personnelle et inspirée – que d’aucuns critiqueront par certains aspects mais qu’elle a le mérite de reconnaître et de défendre elle-même dans son film.

Il ne s’agit donc pas d’un documentaire classique, enchaînant les commentaires en voix-off et les images d’archive, mais bien d’un essai cinématographique, libre et poétique dans son déroulé; s’appuyant sur une enquête de terrain très vivante et bien rythmée puisqu’elle interroge tour à tour non seulement les actrices qui ont tourné avec le maître – à commencer par Liv Ullmann, égérie mythique et désormais porte drapeau de l’artiste depuis sa disparition – mais aussi ses enfants, petits-enfants, la script qui a travaillé à ses côtés pendant trente ans ainsi qu’un ensemble de scénaristes et de réalisateurs inspirés par ses films – de Jean-Claude Carrière à Olivier Assayas en passant par de jeunes réalisateurs de la génération « youtube » tel Ruben Östlund. Ces croisements de points de vue offrent une image dense et parfois très intime de ce que Bergman représente encore aujourd’hui et dans quelle mesure il continue d’inspirer ou pas les officiants de l’art du futur.

  

Liv Ullmann (à gauche) et Ruben Östlund (à droite) témoignent.

« L’appréhension de l’espace est l’une des premières données de l’enregistrement cinématographique » écrit Jean-Claude Biette dans Qu’est-ce qu’un cinéaste ? C’est sur l’île de Faro, si chère à Bergman, au large de la Suède, que Margarethe von Trotta décide d’ouvrir et de clore son film, au milieu d’un paysage de monolithes étranges et hors normes ; sorte de métaphore de l’oeuvre du réalisateur. Bergman, nous murmure la narratrice, n’aimait pas la lumière vive de l’été, celle dans laquelle baigneront les cauchemars de ses long-métrages; il lui préférait un ciel gris et pluvieux… Cette ouverture, la tête dans les nuages, devant la mer, plante admirablement le décor, ramenant sur le devant de la scène les fantômes du Septième Sceau (1957) ; personnages éclaireurs qui ouvrent le défilé de nombreux et passionnants extraits. Revoir Bergman s’impose comme une nécessité à la sortie du documentaire… ce qui n’est pas sa moindre réussite. A voir sans tarder !

  

L’équipe de Bien en place avec Margarethe von Trotta

Jean-Baptiste Chantoiseau

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