Richard DYER à l’université de Nanterre le 3/02/18 pour le séminaire du CICLAHO – photo Maziar Razaghi Chantoiseau
Insaisissable, international, terrifiant ou fascinant : Jack l’Eventreur fait partie intégrante de ce Panthéon de figures mythiques qui hantent la littérature, les arts visuels et le cinéma depuis trois siècles à présent. Spécialiste renommé en « cultural and visual studies » et auteur d’une pléiade de livres de référence tels Stars (1979), Now you see it, Studies on Lesbian and Gay Film (1990 ; réed. en 2003 avec une postface de Julianne Pidduck), The Culture of Queers (2002) ou bien encore In the Space of Song (2012), le professeur Richard Dyer est revenu sur cette figure légendaire dans le cadre du séminaire du CICLAHO à l’université Paris X – Nanterre, animé par Anne-Marie Paquet-Deyris, Serge Chauvin et Anne Crémieux.
Depuis les crimes survenus dans le district londonien de Whitechapel en 1888 – et les récits journalistiques qu’ils suscitèrent – jusqu’aux représentations théâtrales et films récents, le « serial killer » peut-être le plus connu au monde a inspiré diversement artistes et écrivains, pour le meilleur… et parfois aussi pour le pire. En s’intéressant de plus près aux expériences filmiques – séquences à l’appui – Richard Dyer a démontré combien le meurtre et l’angoisse s’inscrivent dans un spectacle (SHOW) qui obéit, certes, à des normes (le brouillard, l’apparition puis l’évanescence de Jack, le jeu des ombres et profils…) mais qui connaît, aussi, des variantes révélatrices de sensibilités artistiques, géographiques et esthétiques différentes. De l’expressionnisme, avec ses jeux de surimposition, au musical en passant par la comédie et la satire, Jack l’Eventreur a été mis en scène , interprété et ré-interprété dans des directions tellement diverses et variées que ce corpus composite, considéré comme un ensemble, en vient à former un paysage pour le moins bigarré, où règne incontestablement une inquiétante étrangeté dont la figure de Jack reste la principale cause.
Ce meurtrier – réel ? imaginaire ? – semble aussi propre à susciter tout un imaginaire fantasmatique où la sexualité (SEX) occupe le premier plan. En dépeignant le meurtre comme un acte sexuel, délivrant pour le serial killer un plaisir comparable à celui de l’orgasme, les artistes, à partir de la figure de Jack l’Eventreur, ont donné vie à des univers esthétiques sous l’emprise du masochisme et de la perversion : les « queer moments », parfois empreint d’homoérotisme, s’y avèrent être légion!
Dernier terrain d’investigation pour Richard Dyer : la question de la classe sociale (CLASS), qui loin de n’être qu’une simple toile de fond semble obséder écrivains, journalistes, artistes et plus généralement le public. Tout porte à croire que Jack l’Eventreur serait un homme respectable, peut-être issu des plus hautes sphères du pays (la famille royale est ainsi souvent évoquée); un homme dans lequel il serait impossible d’identifier de prime abord un meurtrier – à la façon du docteur Jekyll et de Mister Hyde. A moins qu’il ne s’agisse d’un dangereux immigré, d’un inconnu de passage ou d’un déshérité des basses couches de la société et dont les meurtres horribles refléteraient ce que personne n’est disposé à voir: la précarité et la misère financière et mentale dans lesquelles vivent toute une partie de la population.
De bien des façons, le phénomène « Jack l’Eventreur » exprimerait le retour d’un refoulé désormais impossible à contenir et qui se répandrait sur des écrans bientôt envahis par une angoisse ulcérante… pour le plus grand bonheur des spectateurs, mais aussi des auditeurs de Richard Dyer qui, une fois n’est pas coutume, a su offrir un exposé vivant, passionnant et inspirant. La fascination pour « Jack l’Eventreur » n’est donc pas prête de s’éteindre.
Jean-Baptiste Chantoiseau
Photos Maziar Razaghi Chantoiseau