
Évidemment, ce biopic sur le King du Rock ‘n’ Roll (magistralement interprété par Austin Butler) ne plaira pas à tout le monde. Trop déjanté, diront les uns. Trop long, diront les autres. Pas toujours véridique, ajouteront les détracteurs de Baz Luhrmann. Elvis, à quoi bon ? s’interrogeront les contempteurs d’Elvis.
Mais Elvis de Baz Luhrmann, peut aussi enchanter le public, qu’il fût fan du King ou non.
Parce que la musique fait virevolter le film, fait chavirer les images. Les plans se succèdent à coups de happening rythmé. Gospel, blues, rock vous empoignent et vous emportent. Une congrégation pentecôtiste, Sister Rosetta Tharpe, Little Richard, B.B. King qui cause sur Beale Street …Le cinéaste australien s’est beaucoup documenté sur l’histoire du Sud profond et sur le parcours d’Elvis Aaron Presley né dans une petite ville du Mississippi qui, se rêvant chanteur à Memphis où il travaille comme camionneur, surprendra le bonimenteur de fête foraine Tom Parker (Tom Hanks défiguré pour jouer le méchant) avant de surprendre l’Amérique. Le reste est légende – voix sensuelle, déhanchement impudique, sourire en coin, des millions de disques vendus à travers le monde, mariage et séparation avec Priscilla (Olivia DeJonge), Graceland en son décor fabuleux, Las Vegas et le King sur son déclin.
La fin, contée par le truculent Parker, est dans le commencement. Le déroulement de l’histoire n’en sera que plus tragique. De ce procédé inhérent à la tragédie grecque et déjà à l’œuvre dans son ambitieux Gatsby le Magnifique (2013), Baz Luhrmann fait un usage impétueux, endiablé, exalté. La fiction est tellement saturée d’informations qu’elle dépasse le documentaire Jerry Lee Lewis : Trouble in Mind (aussi présenté à Cannes) que consacre Ethan Coen à l’autre icône américaine du rock. Transitions abruptes, ellipses narratives, multitude de personnages, divisions de l’écran pour traduire la simultanéité ou la successivité, feu d’artifice de couleurs, kaléidoscope visuel, déchainement sonore. Luhrmann relate le destin d’Elvis en accéléré. On ne saisit pas tout, mais peu importe. On s’interroge sur l’utilité de telle ou telle scène, mais peu importe.



L’essentiel est dans la fougue et la voix d’Elvis. Et en cela le choix d’Austin Butler fut parfait. Voici un acteur qui, par-delà l’artifice du maquillage et l’outrance des costumes, se révèle être d’abord le bel Elvis, adulé par les jeunes filles niaises ou pas, critiqué par l’Amérique blanche et bien-pensante des années 1950, pour ensuite se transformer en un Elvis difforme, disgracieux qui mourra d’épuisement à 42 ans. Outre la gestuelle sur scène et l’accent du Sud, la prouesse d’Austin Butler réside aussi dans sa voix, tantôt langoureuse tantôt surexcitée. L’acteur chante les chansons du King. C’est à s’y méprendre. Le résultat de deux années de travail, explique Butler. C’est bien Austin qui chante, précise le réalisateur.



À Cannes, à la sortie de la conférence de presse, Austin Butler, accompagné de Baz Luhrmann, se prête au jeu des selfies et des autographes. Avec modestie, avec le sourire. Pour l’heure, il n’a pas pris la grosse tête. Tassée derrière le cordon de sécurité, la foule le réclame, l’idolâtre. Les jeunes filles ne peuvent avoir connu Elvis. Elles n’ont d’yeux que pour Austin. Long live Austin ! On ne voudrait pas que malheur lui échoie. Il a l’air si beau et si frêle dans son costume deux-pièces et sa chemise entrouverte. Et cette coiffure rétro légèrement bombée au-dessus du front, d’une étincelante dorure. 1956 : Chuck Berry, en quête de rhythm and blues, chantait Roll Over, Beethoven. 2022 : Austin Butler entre Cannes et Los Angeles : Roll Over, Brad Pitt & Leonardo Di Caprio.
Lorsqu’Austin Butler passe devant moi, je me hâte de le féliciter pour son interprétation. Il s’arrête quelques instants sur les marches qui le conduiront à l’ascenseur réservé aux V.I.P. Butler semble sincèrement ému par tant de sollicitude. Il répond simplement : « Thank you. Thank you. » Butler a déjà joué dans Once Upon a Time… in Hollywood de Quentin Tarantino. Et il a déjà une longue carrière à la télévision. Mais Elvis de Baz Luhrmann, c’est peut-être le rôle de sa vie qui lui rapportera peut-être un Oscar. Quoiqu’en disent les critiques déçus par le film de Baz Luhrmann (Libération à la sortie du film en France le 22 juin, The Guardian après la projection au Festival de Cannes), une étoile est née.
Esther Heboyan, 2022