Mois: Mai 2024

Festival de Cannes 2024 : Top Ten de Bien En Place

Bien en place a pu visionner vingt cinq de films lors du FESTIVAL DE CANNES 2024. Retour sur nos films préférés.

Notre Palme de cœur : The Seed of the Sacred Fig de Mohammad Rasoulov

Un film très attendu et d’une actualité brûlante. Le réalisateur a très subtilement su mêler images réelles de la terrible répression par la dictature iranienne, prises avec des téléphones portables, à une fiction subtilement menée et au pouvoir symbolique fort. Les actrices sont exceptionnelles. Le récit aide à comprendre comment la dictature s’immisce dans les relations entre individus à tous les niveaux et au sein même de la cellule familiale. Un chef-d’oeuvre puissant.

Palme d’Or : The Substance de Coralie Fargeat

Entre Kubrick, The Shining and Neon Demon ou encore l’univers de David Lynch, ce film est un brûlot contre Hollywood et la manière dont les actrices sont traitées. De toute sa carrière, Demi Moore n’a jamais aussi bien joué.

2e : Emilia Pérez de Jacques Audiard

Un musical inattendu et particulièrement bien réalisé, ne sombrant jamais dans le ridicule qui est un risque réel pour ce genre. Le scénario est surprenant et l’actrice principale extrêmement attachante.

3e : Parthenope de Paolo Sorrentino

Coup de cœur de Bien en place pour le sublime film « Parthenope »de Paolo Sorrentino! Des images sublimes au service d’une plongée dans la mythologie de la ville de Naples. Un cinéma très puissant qui se regarde comme une fable ou une Odyssée, entre classicisme et contemporanéité. Un régal à l’italienne mais aussi universel. #paolosorrentino

4e : Bird de Andrea Arnold

Coup de cœur de Bien en place pour le sublime film « BIRD » d’Andrea Arnold ; une fable en forme d’éloge de l’imaginaire pour échapper à l’oppression sociale et familiale ; une œuvre sur l’amour qui aborde de manière sensible la frontière délicate entre humanité et animalité. Film d’une infinie poésie avec des personnages extrêmement attachants et qui montre le caractère primordial du rêve, de l’amitié et de l’imaginaire. Une envolée magnifique et un bel hommage à l’animalité et à l’humanité, reliées dans un même souffle. Une magnifique expérience aux côtés de la belle équipe du film avec ses actrices et acteurs si talentueux. #andreaarnold

5e : All We Imagine as Light de Payal Kapadia

Sublime film à la poésie nocturne envoûtante et qui plonge dans les profondeurs de Mumbaï. Très beaux portraits croisés de femmes et de la subtilité des relations humaines. Un ravissement dans tous les sens du terme.

6e : Kinds of Kindness de Yorgos Lanthimos

Le réalisateur grec frappe fort avec trois récits jouissifs, transgressifs, aux prises avec l’Inconscient, les obsessions et la bizarrerie de la vie. Un regard cru et sans concession sur la psyché humaine à l’heure contemporaine. Des acteurs et actrices au sommet. One of the very best movies of the competition this year: « Kinds Of Kindness » by Yorgos Lanthimos, who already won two prizes at the Cannes Film Festival. Three cruel, original and dazzling stories that remind us how much our humanity is made of unconsciousness, uncontrollable obsession and always this devouring appetite for live. With a beautiful and perfect casting : Emma Stone, Willem Dafoe, Margaret Qualley and Joe Alwyn among others. #cannes2024 #festivaldecannes #yorgoslanthimos #bienenplace

7e : Anoura de Sean Baker

Screenshot

 La Palme d’or est revenue à Sean Baker pour Anora, l’histoire d’une escort girl dont tombe amoureux un milliardaire. Une surprise pour beaucoup, même si le réalisateur était déjà en compétition en 2021 avec Red Rocket

8e : The Shrouds de David Cronenberg

Le retour de Cronenberg, déjà, à Cannes ! Un scénario original et un début de film passionnant, même si l’intrigue se perd un peu au long du film ; c’est néanmoins une réflexion passionnante sur l’univers digital, la perte, le deuil et l’identité plus généralement.

9e : Liminov – The Ballad de Kirill Serebrennikov

« Limonov, la ballade » était l’un de nos films les plus attendus du festival de Cannes 2024 tant nous adorons le réalisateur russe Kirill Serebrennikov. Si le film nous a moins impressionnés que les trois précédentes productions de l’artiste, il n’en démontre pas moins la maestria de l’auteur et sa capacité à se promener, avec aisance, d’une époque à l’autre, tout en proposant des images puissantes. Son acteur Ben Whishaw, dans le rôle du rebelle iconoclaste et inclassable Liminov, s’est avéré parfait et aurait mérité un prix d’interprétation. Hâte de voir ce que le metteur en scène nous réserve encore à l’avenir.

#cannes2024 #kirillserebrennikov #bienenplace #benwishaw

10e : The Apprentice d’Ali Abbasi

La reconstitution, dans le souci extrême du détail, est épatante. L’acteur a su incarner Donald Trump jusque dans les moindres tics et détails. Une reconstitution documentée et un film bien rythmé qui montre la dextérité du réalisateur à passer d’un registre à un autre.

La rédaction de Bien En Place.

Cinéma abîmé cherche mise en abyme… de génie.

BIEN EN PLACE a assisté à la Cérémonie d’ouverture du 77e Festival de Cannes. Un film aussi attendu qu’atypique était prévu au programme pour achever en beauté la soirée : Le Deuxième Acte (2024, 1 h 20) du réalisateur français Quentin Dupieux, avec Léa Seydoux, Louis Garrel, Vincent Lindon, Raphaël Quenard ou bien encore Manuel Guillot. Ce casting de rêve, mêlant acteurs expérimentés et talentueux nouveau venu, a été placé au service d’une fiction qui relève l’exploit d’aborder, sur une durée relativement courte, un très grand nombre de thématiques sociétales qui touchent le cinéma de plein fouet : le règne de l’Intelligence Artificielle, #metoo, la cancel culture, le respect des minorités, les droits LGBT… ; toutes questionnées au sein d’un flux filmique rapide et jubilatoire.

Tout deuxième acte, enseignent les préceptes de l’art dramatique, se doit de confronter les personnages à leurs problèmes et les montrer commençant à agir. Il se doit d’être court, percutant, déroutant aussi afin de préparer la suite à venir. De ce point de vue là, le film de Quentin Dupieux semble suivre la règle au pied de la lettre en mettant en scène des êtres qui se prennent les pieds dans leur propre tapis et dont les réactions vont entraîner des rebondissements en chaîne, comme dans un travelling en continu que l’on serait bien incapable d’arrêter. La vie, pour Pasolini, semblable au cinéma, n’est qu’un long travelling en continu, comme il l’écrit dans L’Expérience hérétique, parfois interrompu par un montage – le film – qui reflète provisoirement et de manière précaire le réel.

Cette instabilité et ce tangage permanent d’un monde qui ne cesse de dérouler sa folie au quotidien sont précisément représentés, à la fin du film, par un travelling filmant les propres rails ayant permis de le rendre possible, à l’instar de ce qu’avait fait François Truffaut dans La Nuit Américaine (1973). Le film délivre ainsi son message de manière métaphorique et humoristique – deux notions toujours liées chez ce cinéaste.

Film dans le film, nécessité de blaguer face aux dérisions d’un monde dérisoire, menace omniprésente de déraillements intempestifs ou de partir en roue libre (comme dans le premier long-métrage du réalisateur) : le film mêle le cinéma, la vie et les tempêtes contemporaines dans un même mouvement que plus personne, pas même le réalisateur, ne saurait contrôler. Est-ce à dire que ce deuxième acte annonce le pire, qui est à toujours à venir par définition, comme le dit l’expression ?

Toujours est-il que ce « deuxième acte » monté par Quentin Dupieux semble vouloir se dérouler en une révolution du soleil. C’est au petit jour que s’ouvre le récit tandis que les néons du café-restaurant « Le Deuxième acte » se mettent à clignoter : l’idée d’un film dans le film s’annonce déjà à travers le nom de ce lieu clé de l’action qui reprend le titre du film ; sorte de microcosme, symbolisant le monde – comme dans une scène de théâtre -, où les protagonistes seront amenés tôt ou tard à se retrouver avant que leurs chemins se séparent pour d’autres actes à venir… car qui dit « deuxième » acte implique « troisième »; contrairement à l’adjectif numéral « second » qui aurait clos le débat.

Le patron du café/brasserie – un Manuel Guillot aussi hilarant que tragique – prépare le terrain du tournage à venir : il se coiffe et se recoiffe de manière frénétique – car il sait déjà qu’il figure dans un film (mais nous autres spectateurs ne savons pas encore qu’il sait). Suivent ensuite à l’écran deux amis, David et Willy (joués respectivement par Louis Garrel et Raphaël Quenard) discutant chemin faisant… mais les débats prennent mauvaise tournure, versant dans le politiquement incorrect – sur les femmes, les homosexuels… David sent bien qu’une censure s’impose, il tente de faire taire Willy et prend le réalisateur, supposé être derrière la caméra, et le spectateur à témoin. On a dès lors conscience qu’il ne s’agit pas d’un film banal narrant les errances sentimentales de deux hommes en goguette conversant sur une route. Le film dans le film est clairement dévoilé mais pas d’une manière classique : la frontière entre tournage et fiction, personnage et acteur ne cesse de fluctuer à travers des allers et retours vertigineux. On ne sait jamais sur quel pied danser, et de cela, Quentin Dupieux s’amuse copieusement.

La scène suivante entre Léa Seydoux (Florence) et Guillaume (Vincent Lindon) est encore plus savoureuse : elle démarre en empruntant les codes classiques d’une mauvaise série B sentimentale pour tourner dans une révolte de l’acteur masculin (Vincent Lindon), usé jusqu’à la corde de ses rôles minables et prêt à jeter l’éponge… à moins qu’un coup de téléphone providentiel – un projet avec le grand Paul Thomas Anderson – ne vienne relancer la mise et le faire repartir de plus belle pour achever – dans tous les sens du verbe – son film en cours.

Actrice se prenant trop au sérieux et abandonnée des siens ; acteur sur le déclin fantasmant une sirène américaine ; figurant incapable de se contenir et de tenir son rôle ; duels d’egos entre acteurs machos ; menace de dénonciations suite à une séduction trop insistante dans des toilettes : Quentin Dupieux dresse un portrait au vitriol – mais avec un humour toujours réjouissant – du monde du cinéma, de ses travers, de ses clichés, dans une esthétique de l’excès sans concession ni faux-fuyants, quitte à aller trop loin à se faire éclater la cervelle… pour de faux, une première fois, et peut-être pour de vrai ensuite… L’histoire ne le dit pas et le destin du barman-figurant, prêt à en finir avec tout, faute de pouvoir être à la hauteur, semble métaphorique d’une industrie audiovisuelle hantée par des turpitudes dont Quentin Dupieux montre le ridicule.

Quentin Dupieux, réalisateur et Joan Le Boru, directrice artistique entourés de l’équipe du film lors de la montée des marches le mardi 13 mai 2024

Acteurs, assistants et techniciens apparaissent tour à tour dans le film dans le rôle qui leur est propre ; seule une figure, pourtant essentielle, se singularise par son absence : celle du réalisateur, apparemment absent. C’est qu’en réalité le film en cours de réalisation n’est rien moins que l’oeuvre… d’une intelligence artificielle, qu’un assistant laissera bientôt apparaître sur l’écran d’un ordinateur portable, distribuant les bons et les mauvais points, comptabilisant ratés et retards dans des statistiques aussi précises qu’absurdes ! Une intelligence artificielle, au demeurant, qui connaît de nombreux bugs ; répétant de façon mécanique les mêmes bouts de phrases jusqu’à déraillement. A l’heure où des menaces de débauche ont engendré une grève inédite parmi les scénaristes hollywoodiens, ces turpides techniques, portées au comble du ridicule dans le film, montrent combien un cinéma réduit à de simples équations, à des enchaînements programmés et autres algorithmes aurait tôt fait de virer au cauchemar ou à une cacophonie sans nom.

En portant à un point d’incandescence les inquiétudes et les menaces d’un monde – réel, virtuel, cinématographique – qui a perdu la tête, Quentin Dupieux se livre à un exercice qui s’avère cathartique à plus d’un titre. Libérer et laisser jouer les démons du présent constitue un habile piège pour dévoiler leur ridicule. On a tort, sans doute, de les prendre au sérieux comme de se prendre au sérieux tout court. C’est là une touche, même légère, d’espérance. Après tout, peut-être bien qu’un troisième acte nous attend, ailleurs, et qu’il se joue même déjà – à notre insu !

Jean-Baptiste Chantoiseau, pour la rédaction de Bien en place